Entre la tête et les pattes… Le manager
A l’image de notre univers en expansion depuis le big bang, le monde des très grosses entreprises pourrait parfois donner l’impression de subir ou plutôt faire subir à ses acteurs le même syndrome. Un syndrome d’éloignement et d’isolement progressif à mesure que la baudruche enfle.
Un éloignement en évolution, mais pas forcément sur les mêmes thèmes selon les entreprises ou les secteurs d’activité.
Cet éloignement progressif peut être relationnel, éthique, physique, salarial, culturel, multiforme….
Les dirigeants, les cadres, les exécutants
Dans ces grosses entreprises, je vais simplifier à l’extrême en classant les acteurs en trois grandes catégories, on trouve : les dirigeants, les cadres et les exécutants. Ou dans une version maritime, l’armateur, le capitaine de la barque et les rameurs.
C’est peut-être un peu réducteur, mais pour cet article, j’ai pris le parti d’une analyse naïve, un simple étonnement que j’ai envie de partager.
C’est un constat très personnel né de rencontres et d’observations après 17 années comme cadre dévoué d’une immense multinationale ; puis 14 années à côtoyer des milliers de managers et de collaborateurs d’horizons, de nationalités et de cultures multiples, dans mon métier de formateur consultant chez Interactifs.
Pour la tête, je vais englober tout acteur doté du pouvoir de grandes décisions : les dirigeants, les comités de direction, les actionnaires…
Pour les pattes, ce sera la grande masse des collaborateurs affectés aux tâches dans un rôle d’exécution.
Mais ici, je vais principalement m’intéresser à l’élément intermédiaire, le fusible appelé cadre ou manager.
D’après mes modestes observations et les conclusions, peut-être un brin simplistes qui en ont découlées :
- Au train des croissances internes, externes, des fusions acquisitions, rachats… Certaines entreprises ont atteint des tailles et des chiffres d’affaire dépassant le PIB de bon nombre de pays sur notre planète.
- Cette tendance à regrouper, absorber, parfois laminer s’est même propagée à nos institutions ; exemple : le regroupement des régions en France qui a enfanté des mastodontes ingérables et déshumanisés. La réduction des coûts, qui était la motivation initiale de leur création, s’est inversée en générant plus de coûts (transports, alignement des conditions de salaire par le haut…) et plus de souffrances (problèmes de communication, de compréhension, de culture…).
- Naturellement, la baudruche enflant, nos acteurs, cadres, dirigeants et employés de ces mastodontes se sont éloignés physiquement les uns des autres. C’est normal, c’est juste une loi physique et géométrique. Mais je me demande si cet éloignement du terrain (les rameurs) n’a pas fini par créer une sorte d’angoisse chez les dirigeants avec cette question : on ne les voit plus, on les imagine (cadres et exécutants), mais que font-ils réellement ?
Pourraient-ils le faire mieux, plus vite, autrement, moins cher… ?
Alors le process est devenu une priorité absolue, je m’explique :
Pour régir il faut créer des lois. Ces lois, dans les entreprises, se nomment le process. Et le process, c’est ce qui dicte aux petites pattes comment marcher, à quel rythme ou – pour être plus clair – comment faire leur travail.
Rôle du cadre ou manager
Donc, puisque les millions de petites pattes avancent au rythme du process, mais que la tête trop éloignée n’en devine que le mouvement, il fallait trouver quelqu’un pour lui raconter, lui expliquer, la rassurer… Et qui de mieux placé que le manager, le cadre.
Donc le cadre s’est mis à raconter, à faire du ‘’reporting’’ pour parler moderne. Et à le faire avec frénésie.
Alors le nombre de réunions et de PowerPoint a explosé, les mails ‘’copie la terre entière’’ ont fusé, les claviers se sont mis à chauffer sous les doigts crispés de nos cadres qui avaient peut-être trouvé là une nouvelle façon d’exister, plus simple : passer du temps à rendre compte plutôt qu’à faire.
Dans les open-space, les TGV, les halls de tous genres, est né un nouveau son : celui que font les touches quand on les enfonce avec détermination. Des heures et des heures à raconter ce que font les petites pattes, à rendre compte, expliquer, justifier… Avec parfois certaines distorsions ou menus aménagements presque louables, c’est tellement humain d’embellir un peu, de modifier légèrement, d’omettre à peine…. Jusqu’à des situations schizophrènes. On pourrait s’en amuser si la situation n’avait fabriqué autant de souffrance et de larmes…
Mais commençons par un exemple rigolo :
Dans le monde automobile, on a tendance à penser, à juste raison, que les journées portes ouvertes (le dimanche ouvert exceptionnellement) stimulaient les ventes ; alors les constructeurs se sont mis à multiplier les dates et, bien sûr, ça a rendu l’évènement de moins en moins exceptionnel. Avec une baisse notable de la fréquentation par les clients, jusqu’à plus personne dans les showrooms ce jour-là, juste quelques fanions suspendus au-dessus d’un vendeur désœuvré qui pianote sur son smartphone en attendant la fin d’un triste ‘’dimanche pour rien’’.
Mais, pour ne pas subir les reproches du siège, les responsables d’affaires se sont mis à antidater les contrats, en mettant les ventes faites les autres jours (normaux) de la semaine à la date du jour des portes ouvertes.
Le siège, voyant que les opérations fonctionnaient bien, en a lancé de nouvelles avec beaucoup d’enthousiasme.
En bout de chaînes les managers étaient de plus en plus dépités et répétaient cette phrase improbable : ‘’pourtant, ils devraient le savoir que plus aucun client ne vient aux portes ouvertes ! ‘’
Il y a des exemples moins rigolos où l’omerta, le poids et la crainte de la tête poussent à mentir sur la situation réelle : le bateau coule, mais les rameurs sont occupés à ramer, les capitaines à raconter une belle histoire et les armateurs à s’en satisfaire. Je pense encore au monde de l’automobile, avec l’affaire des puces : pour pénétrer le marché américain avec du diesel tout en se conformant à ses lois environnementales, les constructeurs n’ont pas fabriqué un moteur qui pollue moins, mais un moteur qui racontait qu’il pollue moins. Juste parce que la tête avait dit « Dém……-vous, trouvez une solution… ». Et, on peut aussi citer dernièrement Boeing, avec des moteurs inadaptés aux modèles d’avion, et pour lesquels on demande aux ingénieurs de changer les paramètres informatiques plutôt que les moteurs. Et là encore : « Dém…..-vous ! » et boum l’avion.
Voilà des exemples qui, en plus de ce rôle de rapporteur frénétique, illustrent la difficulté grandissante de la mission du manager, consistant quotidiennement à faire entrer des ronds dans des formes carrées sans oser émettre de doutes.
Je pourrais encore citer d’innombrables exemples, on en a tous, mais une question me brûle le clavier : au-delà de ce problème de confiance manifeste, la tête n’aurait-elle pas tendance à tout prendre, je parle de la presque globalité du temps, de l’énergie et du talent à nos chers managers ?
Redonner son sens à la mission du manager
Alors que le contrat initial, c’était tout de même de manager… Consacrant une belle part d’énergie au bonheur et à l’efficacité des petites pattes : les encadrer, les accompagner, les former, les encourager…
Ainsi, pour ce manager moderne tiraillé entre la tête et les pattes, je constate trois problématiques existentielles et grandissantes au rythme des baudruches :
- Quid de l’énergie et du temps passé à raconter le passé, quand il faut construire et imaginer l’avenir ?
- Qui manage les pattes quand les managers n’ont plus le temps, tout accaparés à leur fonction de rapporteur ?
- Comment survivre quand la mission devient impossible, voir insensée ?
A la première question je n’ai pas de réponse, ce n’est d’ailleurs pas une question, plutôt un constat.
A la deuxième, j’ai eu une révélation : puisque le manager n’a plus le temps de manager et que la nature a horreur du vide, la tête (par l’entremise de ses services dédiés) a eu une idée terrifiante, et géniale au prime abord :
C’est le client qui va manager… Eh oui, client, c’est devenu un métier :
Qui donne des notes, qui répond à des enquêtes de satisfaction, qui juge la qualité du travail, de la prestation, de l’accueil … ? LE CLIENT.
J’ai d’ailleurs envie de traiter cette question dans un prochain article, je pense qu’il mérite à lui seul une belle réflexion, donc à plus tard sur ce sujet…
A la troisième, la seule solution est de redonner aux managers la capacité et le courage de dire les choses, de fonder des critiques constructives, de n’être pas d’accord si besoin, de pouvoir défendre leurs équipes ….
En conclusion,
La boucle est bouclée, et sur notre terre entière sans distinction de culture, de pays, d’histoire, tout s’est décalé de cette manière avec les conséquences que je n’ai que survolé ci-dessus : plusieurs volumes n’y suffiraient pas.
Pour le client qui, malgré lui et bénévolement, s’est vu attribuer la fonction de manager, il n’y a pas grand-chose à faire à part décider de refuser ce rôle.
Pour les têtes, réapprendre à faire confiance et mieux écouter la base, avoir toujours souci d’humanisation et de simplification.
Pour le manager, remettre les priorités dans l’ordre, c’est-à-dire le process comme moyen (de simplification, de compréhension, de clarification…) et non pas comme finalité ou objectif.
La qualité relationnelle doit redevenir une priorité absolue, gage de belle productivité, de temps gagné et d’enthousiasme.
Je connais une formation qui peut grandement l’aider à atteindre ces objectifs….
A bon entendeur Salut.
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